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Sens

En situation de commandement, les officiers donnent des ordres, lesquels sont exécutés conformément aux procédures ou « process » utilisés maintes et maintes fois en entrainement. Le commandement, moyen militaire pour diriger des hommes, est finalement plus facile à mettre en œuvre lorsque la situation de crise l’exige. Il est même efficient et efficace lorsque la décision est limpide et précise. Il ne souffre pas de discussion car la contrainte de temps ou de vie l’exige. Toutefois, et cette possibilité existe depuis quelques années, le dernier maillon de la chaîne du commandement peut ne pas exécuter un ordre si l’environnement dans lequel il agit lui semble inadéquate ou défavorable. L’exemple d’un pilote de chasse qui n’a pas tiré sur une cible sélectionnée par l’état-major dans un pays d’Afrique en est exemple. En effet, il a aperçu au dernier moment des personnels civils utilisés comme boucliers humains autour de la zone cible. La décision ultime de l’exécutant a pris une envergure éthique sans précédent.
Le « commandement » dans la société civile peut dans certains cas être un moyen de réagir et de saisir une opportunité économique. Si l’esprit d’entreprise, forgée sur une identité forte reposant sur des valeurs partagées, développe la confiance interne et favorise un bon climat général, le cadre supérieur peut exiger une réactivité et une disponibilité de ses collaborateurs dans un temps déterminé.

En général, les officiers ou les cadres font plutôt du management. J’ai eu l’honneur de former des élèves de grandes écoles en management à l’école de l’air. Ils étaient surpris que les militaires utilisent régulièrement une voie participative, pensant à tort que le commandement était leur unique façon de conduire des hommes. Pour ces étudiants, le commandement est un moyen simple et facile pour diriger des hommes. Seulement l’homme, qu’il soit militaire ou civil, est un être qui agit selon les mêmes ressorts, des leviers de motivation et des valeurs fortes communes. La reconnaissance et la considération de ses personnels, l’attitude empathique du chef, son exemplarité et sa vision, sont autant de qualités communes.

Questions

Qu’est-ce qui transcende les militaires ? Quelles sont les valeurs communes à une armée et une société privée « éthiques » ? Vers quelles vertus tendre ? Quel humanisme proposer en entreprise ?

Éclairages

La remise en question permanente facilite l’apprentissage par l’introspection, une analyse fine de ses erreurs et de ses forces. Je sais pour avoir échangé avec les pilotes de la Patrouille de France que la remise en question est permanente. Ils se remettent en question après chaque vol en décryptant et en écoutant les remarques de ses camarades. L’humilité fait partie de leur état d’esprit. Voler à 8 avions à moins de 3 mètres l’un de l’autre à 700 km/h est une prouesse humaine. Former une seule Ame harmonieuse en patrouille à partir de 8 pilotes, de 8 âmes, est magique et possible.

L’authenticité, le courage et la capacité à prendre des décisions sont également des vertus cardinales transversales du décideur efficace. L’homme est la richesse d’une armée ou d’une entreprise. L’intelligence émotionnelle et relationnelle d’un leader a les mêmes effets sur les membres d’un service, qu’ils soient en uniforme ou non.

L’éthique de l’officier de l’armée de l’air est un véritable laboratoire de cas de conscience différenciés. Les diverses confrontations d’idées auxquelles il est soumis et les nombreuses mutations le font grandir. « L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle », citation de l’aviateur écrivain Antoine de Saint-Exupéry, se vérifie dans toutes les épreuves délicates que l’officier est amené à surmonter. Les crises, les situations dégradées, l’isolement parfois de l’officier sont autant de cas concrets pour mûrir sa réflexion et pour se rapprocher des hommes. La solidarité est nécessaire dans ces cas difficiles, l’homme est un animal androïde qui a besoin de vivre avec ses congénères.

Même si l’armée de l’air exploite des processus techniques performants, son approche humaniste est essentielle et prioritaire. Elle ne perd pas de vue la finalité accordée à l’homme. Ses expériences, ses erreurs et ses bonnes pratiques sont partagées à l’aide des retours d’information, les retours d’expériences (Retex). Ces réunions interactives et sans jugement de valeur sont pratiquées aussi bien « à chaud qu’à froid », c’est-à-dire aussitôt après une opération qu’après un certain temps. Ces confrontations de cas et de points de vue s’exercent dans un véritable esprit d’équipe. Ces échanges, formels et informels, sont tout autant fructueux. Des chercheurs des écoles d’officiers de l’armée de l’air confirment par leurs travaux la richesse et l’intérêt des Retex informels dans le cadre des échanges permanents entre les pilotes après des débriefings plus formalisés. Ces compétences collectives sont tout aussi importantes que les compétences individuelles. Plusieurs cerveaux interconnectés sont plus puissants qu’un seul. Au-delà de l’aspect cybernétique, c’est avant tout la richesse des relations humaines authentiques, qui fait la force d’une armée. Une force bornée par des repères fiables, ces valeurs qui font émerger la nature profonde et universelle de l’être humain…

En bref

La finalité de l’armée de l’air engage l’officier au-dessus de lui-même, il dépasse et transcende son soi pour un Soi collectif, une cause nationale voire supranationale. Ce contrat tacite avec lui-même et explicite avec la Nation lui donne un sens plus fort et plus large. Le prix de sa vie peut être non négociable, ce qui fait ressurgir chez lui des ressources et des forces insoupçonnées. Son système de valeurs, véritable boussole de vie, le guide dans ses actions par ce fort engagement, et malgré les situations de crise, le protège et le pose. Le militaire connaît mieux la valeur de la vie car il côtoie le sacrifice suprême. Les conseillers militaires du gouvernement le savent et préconisent souvent à nos autorités politiques des moyens qui privilégient le plus des vies humaines car ils sont beaucoup plus conscients des dommages irréversibles qu’engendre la guerre.

Pour synthétiser, il semble important de dégager trois pôles forces qui caractérisent les officiers de l’armée de l’air. Avec un recul et une expérience de plus de 26 ans dans ce corps d’armée, je dirai que le premier concerne la notion de sens, la direction à suivre. Le second est l’engagement et le 3ème le travail en équipe. Pour unir ces parties, l’esprit de solidarité scelle ces trois ancrages, stabilise et fixe un cap aux orientations du décideur…